Par les Drs S. Papageorgiou, DV, CEAV de médecine interne, Résidente ECVN & K. Gnirs, dip ECVN, spécialiste en neurologie.
Un chat européen mâle castré de 8 ans, pesant 7 kg est présenté en consultation de neurologie pour une boiterie du membre postérieur droit.
Commémoratifs
Les signes cliniques sont apparus brutalement 10 jours auparavant. La propriétaire rapporte une boiterie du membre postérieur droit associée à une vive douleur. Initialement, aucune anomalie n’avait été observée lors de l’examen clinique général chez son vétérinaire traitant, hormis une plantigradie. Le bilan hémato-biochimique ainsi que les radiographies du membre postérieur droit étaient normaux. Un traitement antalgique et anti-inflammatoire avec du meloxicam (Metacam, Boehringer Ingelheim, 0,05 mg/kg PO q24) a été administré pendant 5 jours et a permis la résolution rapide de la douleur. Une amélioration progressive de la boiterie a été constatée par la propriétaire. L’animal gardait par ailleurs un bon état général et présentait un bon appétit.
Examen clinique
A l’inspection, l’animal est légèrement en surpoids (NEC = 6/9). Les muqueuses sont roses et humides avec un temps de remplissage capillaire de 2 sec. L’auscultation cardiorespiratoire est normale. La palpation abdominale est souple. Aucune masse n’est palpable. La température rectale est normale. Les membres postérieurs sont chauds et le pouls fémoral est palpable des deux côtés.
L’examen nerveux révèle une plantigradie du membre postérieur droit associée à une boiterie avec appui. (PHOTO 1).
Les réactions posturales ainsi que le réflexes médullaires sont normaux. L’examen des nerfs crâniens, le comportement et la vigilance de l’animal sont également normaux.
L’examen orthopédique du membre postérieur droit sur animal vigile ne révèle pas d’anomalies. Le tendon du muscle gastrocnémien semble de taille et de consistance identique au côté opposé.
L’examen clinique ne permet pas de déterminer avec certitude si l’origine de la lésion est nerveuse (lésion du nerf sciatique-tibial droit) ou orthopédique (lésion du tendon du muscle gastrocnémien). Dans le cas d’une atteinte nerveuse, les différentes hypothèses diagnostiques sont une dégénérescence du disque intervertébral (hernie discale latéralisée droite ou foraminale), une origine inflammatoire (névrite), tumorale, traumatique ou vasculaire (thrombo-embolie de l’artère iliaque droite). Dans l’hypothèse d’une atteinte orthopédique, une origine traumatique est suspectée.
Examens complémentaires
Un examen échocardiographique est réalisé afin d’exclure une origine vasculaire cardiogénique des signes cliniques et avant anesthésie générale. L’examen est normal.
Afin de déterminer si une atteinte nerveuse du nerf sciatique est responsable des signes cliniques, un examen électrodiagnostique (Vicking Quest) est réalisé. Il s’agit du seul test fonctionnel permettant d’évaluer l’intégrité de la conduction neuro-musculaire. L’électromyographie (EMG) montre une activité spontanée anormale (potentiels de fibrillation) dans les muscles innervés par le nerf sciatique- tibial droit (muscles interosseux, gastrocnémien et sémi-tendineux droits) (PHOTO 2).
L’étude de la conduction nerveuse motrice du nerf tibial droit ne démontre pas d’anomalies : l’amplitude et la vitesse de conduction sont comparables des deux côtés. Le résultat de l’examen électromyographique confirme une origine nerveuse des signes cliniques et est en faveur d’une atteinte axonale du nerf sciatique- tibial droit.
Afin d’explorer l’origine de cette atteinte, un examen tomodensitométrique (Aquilion, Toshiba, 4 coupes) de la colonne vertébrale lombaire basse et lombo-sacrée est réalisé avant et après injection en intra-veineuse de produit de contraste iodé (Omnipaque 300, GE Healthcare, 2ml/kg IV). Une minéralisation du noyau pulpeux de la majorité des disques intervertébraux lombaires est observée (PHOTO 3).
Cette minéralisation est plus marquée sur le disque L7S1. En coupe transverse au niveau de la jonction lombosacrée, on note la présence d’un matériel minéralisé occupant tout le foramen L7S1 sur le côté droit et obstruant l’émergence foraminale du nerf sciatique droit (PHOTO 4).
Diagnostic
Le diagnostic est celui d’une atteinte axonale du nerf sciatique droit secondaire à une hernie discale extrusive foraminale L7S1.
Traitement
Compte tenu de l’amélioration progressive des signes cliniques, un traitement médical antalgique à base de gabapentine est proposé en première intention. Du repos pendant 4 semaines est également conseillé. La possibilité d’un traitement chirurgical en cas d’échec du traitement médical est envisagée ultérieurement avec le propriétaire.
Discussion
Contrairement à ce que l’on observe chez le chien, les hernies discales constituent une affection relativement rare chez le chat (1). Il s’agit fréquemment d’une affection asymptomatique puisqu’elle est surtout rapportée dans des études post mortem sur des chats ne présentant pas de signes de myélopathie. (2-4). Par ailleurs, l’incidence des hernies discales entrainant des signes cliniques de myélopathie est faible ; 5.4% des chats atteints de myélopathie présentaient une hernie discale sur l’examen IRM (5).
Aucune prédisposition raciale n’est démontrée chez le chat (1). L’âge moyen des animaux atteints est de 8 ans (de 11 mois à 17 ans) (1). Une prédisposition des chats mâles est suspectée, surtout en ce qui concerne les hernies discales lombosacrées (1).
Suivant la classification utilisée chez le chien, les hernies discales sont divisées en hernies extrusives ou Hansen I, protrusives ou Hansen II et hernies non compressives de forte vélocité. Selon les différents cas isolés ou séries de cas sur des chats présentant une hernie discale, la fréquence des hernies de type Hansen I est d’environ 42%. Une dégénérescence chondroïde des disques intervertébraux similaire à celle rapportée chez les chiens, particulièrement ceux appartenant à des races dites chondrodystrophiques est aussi décrite chez les chats et peut être associée à des hernies extrusives (1). C’est le cas de notre patient qui présentait une minéralisation de la majorité des disques lombaires, plus marquée sur le disque partiellement hernié en L7S1. Les hernies discales de type Hansen II représentent un tiers des cas publiés et environ 13% sont des hernies de haute vélocité non compressives (1). Le type de hernie n’est pas renseigné sur le reste des cas rapportés.
La localisation de prédilection pour les hernies discales symptomatiques est la région lombaire (1), en particulier l’espace L7S1 (1). Chez le chien, les hernies discales dans cette localisation résulteraient de la forte mobilité de la colonne vertébrale dans cette région, à l’origine d’une instabilité (1). Dans l’espèce féline, l’association entre la mobilité de la colonne vertébrale et la présence des hernies discales n’a pas été évaluée. Cependant, de nombreuses similitudes entre ces deux espèces sont rapportées, notamment la présence de spondylose lombosacrée, le collapsus de l’espace L7S1 et l’hypertrophie facétaire des articulations (1). Par conséquent, une pathogénie commune dans les deux espèces peut être suspectée (1). Les localisations moins fréquentes sont la région cervicale, la région thoraco-lombaire ainsi que les premières vertèbres thoraciques (1).
Les signes cliniques associés à une hernie discale chez le chat dépendent de la localisation et varient d’une simple douleur à une paralysie complète avec perte de nociception. Dans le cas de hernie lombosacrée, les signes observés sont généralement une hyperesthésie, une réticence à jouer ou à sauter, un port de queue bas, une douleur lors de la défécation, une incontinence urinaire, une boiterie, une plantigradie et/ou une parésie/ataxie des membres postérieurs. Une paralysie est rarement observée.
Le diagnostic repose sur les examens d’imagerie, notamment l’examen tomodensitométrique (avec ou sans injection de produit de contraste iodé en intra-veineuse ou dans l’espace sous-arachnoïdien) ou l’imagerie par résonance magnétique. Sur notre patient qui présentait une plantigradie sans déficit postural associé, l’examen éléctromyographique nous a permis de trancher entre une atteinte nerveuse versus une atteinte orthopédique. Un examen électromyographiquee normal aurait orienté davantage vers une origine orthopédique et nous aurait conduit à explorer une anomalie tendineuse.
Le traitement d’une hernie discale peut être médical ou chirurgical. Le traitement médical consiste principalement en du repos, associé à l’administration d’anti-inflammatoires et antalgiques. Notre choix d’antalgique s’est porté sur la gabapentine, molécule efficace contre la douleur chronique d’origine neuropathique et donc très intéressante dans les cas de compression ou irritation radiculaire. La gabapentine se fixe sur des canaux calciques et inhibe la libération des neurotransmetteurs (6). Elle exerce ses propriétés antalgiques en activant des circuits inhibiteurs qui régulent neurotransmission des signaux douloureux au niveau de la corne dorsale (6) Le traitement chirurgical consiste en l’extraction du matériel hernié pour permettre la décompression du tissu nerveux. L’abord chirurgical choisi dépend de la localisation, du type et de la position du disque hernié dans le canal médullaire ou le foramen intervertébral. Parmi les techniques décrites chez le chat, les plus fréquentes sont l’hémilaminectomie et la laminectomie dorsale, avec ou sans stabilisation (1). Notre patient présentait la particularité d’une hernie localisée exclusivement dans le foramen. En cas d’échec du traitement médical, la technique chirurgicale ne pourra être qu’une foraminotomie dans le but de libérer le nerf sciatique dans son trajet foraminal.
Le pronostic de récupération rapporté dans la bibliographie chez le chat est variable aussi bien lors de traitement médical que lors de traitement chirurgical, mais les données sont relativement peu nombreuses.
En conclusion, même s’il s’agit d’une affection rare chez le chat, la hernie discale doit être considérée dans le diagnostic différentiel d’un chat adulte ou âgé souffrant d’une myélopathie ou radiculopathie, notamment en région lombaire/lombosacrée
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