Par les Drs Mihai Guzu DMV, résident de l’EVDC, DU Techniques microchirurgicales, DU Carcinologie cervico-faciale, Dr Isabelle Druet, DMV, résidente de l’EVDC, Bachelor ès Sciences et Dr Philippe Hennet DV, dipl. AVDC, dipl. EVDC, spécialiste en stomatologie et dentisterie vétérinaire.
Service de chirurgie dentaire, buccale et maxillo-faciale, www.advetia.fr
Les chutes demeurent une présentation clinique fréquente en région urbaine, notamment chez le chat. Elles peuvent être à l’origine de lésions multiples, thoraciques, abdominales, orthopédiques, neurologiques et maxillo-faciales. Ces dernières sont souvent sous-diagnostiquées par un simple examen clinique ou par les techniques radiographiques conventionnelles. Néanmoins, elles peuvent engendrer des répercutions vitales, voire fonctionnelles graves si elles ne sont pas prises en charge précocement. Une gestion multidisciplinaire par ordre de priorité est souvent nécessaire, afin de diagnostiquer et traiter efficacement ces cas complexes.
Commémoratifs et anamnèse
L’incidence des chutes en région urbaine trouve son apogée durant les périodes chaudes (printemps-été). (Vnuk et al, 2004) Selon une étude de 2012 s’intéressant spécifiquement aux lésions oro-faciales chez les chats chutant d’un étage ou plus (4 mètres et au delà), 75.3% des individus sont âgés de moins de 2 ans. (Bonner et al, 2012) Cette étude rapporte la présence d’un certain degré d’atteinte oro-faciale dans 66% des cas.
Examen clinique
Une triade lésionnelle classique comprend une atteinte maxillo-faciale, orthopédique et thoracique. Cependant, un examen clinique systématique doit être mené, afin de traiter les affections par ordre de priorité. L’acronyme « A CRASH PLAN » (Airways, Circulation, Respiratory, Abdomen, Spine, Head, Pelvis, Limbs, Arteries and veins, Nerves) propose une revue des grands systèmes (Tableau 1).
Tableau 1 : Démarche clinique lors de trauma selon l’acronyme « A CRASH PLAN » :
Airways : un encombrement des voies respiratoires hautes est recherché (e.g. fractures de l’étage moyen de la face, épistaxis). Elle peut engendrer une respiration laborieuse, bruyante (stridor, stertor), notamment inspiratoire et être associée une cyanose.
Circulation : un choc (avec ou sans perte sanguine) est souvent rapporté lors de chute et peut se caractériser par un abattement, une faiblesse, un état stuporeux ou comateux, une tachycardie, un pouls faible voire absent, des muqueuses pâles, un temps de remplissage capillaire retardé et une hypothermie.
Respiratory : une atteinte thoracique (e.g. pneumothorax, hémothorax, contusions pulmonaires, hernie hiatale ou diaphragmatique) peut se traduire par une dyspnée expiratoire voire une discordance thoraco-abdominale, une tachypnée, une cyanose, un emphysème sous-cutané et une diminution des bruits respiratoires à l’auscultation.
Abdomen : L’examen clinique veillera notamment à exclure toute rupture des parois abdominale ou périnéale, ainsi qu’un épanchement intra-cavitaire (e.g. uroabdomen, hémoabdomen)
Spine : Une évaluation neurologique minimale doit s’assurer de l’intégrité médullaire par segments (MNC) : C1-C5 ; C6-T2 ; T3-L3 ; S1-S3 ; Co en passant en revue la proprioception des quatre membres, les réflexes nerveux appendiculaires, la palpation de la colonne thoraco-lombaire, ainsi que la mobilisation la colonne cervicale, afin d’exclure toute anomalie ou phénomène douloureux.
Head : l’examen de la région cranio-maxillo-faciale peut se décomposer en trois sous-parties :
– L’évaluation neurologique : état de conscience et nerfs crâniens.
– L’inspection du crâne et de la face, à la recherche d’asymétrie ou d’enfoncement orientant vers des fractures de l’étage supérieur (crâne), moyen (complexes zygomatico-maxillaire, naso-orbito-ethmoïdal et palato-maxillaire) et/ou inférieur (mandibule). La présence de plaies cutanées (notamment labiales ou mentonnières), d’atteinte orbitaire (e.g. exophtalmie, hématome sous-scléral, luxation du cristallin, hyphéma, perforation du globe) ou d’emphysème sous-cutané sera également recherchée.
– L’inspection de la cavité buccale débute par la recherche d’une malocclusion, avec éventuelle instabilité associée ou d’une fente palatine. La présence de fractures dentaires, de plaies, lacérations ou hématomes ou toute atteinte linguale et sous-linguale seront également recherchés en réclinant la langue latéralement de part et d’autre.
- Une déviation latérale de la mandibule signe le plus fréquemment la présence d’une fracture homolatérale de la mandibule. Elle peut se situer dans la partie dentée (corps mandibulaire) ou plus caudalement (ramus, col du condyle, voire ATM). Des lésions de l’étage moyen de la face sont également possibles.
- Une mandibule avancée (pseudo-prognatisme mandibulaire) peut signaler une luxation bilatérale rostrale de la mandibule ou un écrasement de l’étage moyen de la face. Néanmoins, elle peut être physiologique chez les races brachycéphales (e.g. persans).
- Une mandibule reculée (pseudo-rétrognathie mandibulaire) peut quant à elle traduire une fracture bilatérale du processus articulaire de l’os temporal ou une fracture mandibulaire bilatérale.
- Une instabilité verticale rostrale de la mandibule s’explique généralement par une disjonction de la symphyse mandibulaire, une fracture du bloc incisivo-canin ou un trauma alvéolo-dentaire.
- Une atteinte caudale, entreprenant les articulations temporo-mandibulaires (ATM) doit cependant toujours être exclue par examen d’imagerie en coupe.
Pelvis : l’examen orthopédique veillera dans une premier temps à évaluer l’ambulation et la symétrie des reliefs osseux pelviens (triangulation classique) : aile de l’ilium, grand trochanter et palette ischiale.
Limbs : par la suite, une inspection exhaustive des membres à la recherche de tuméfaction, instabilité ou craquement des structures ostéo-articulaires est effectuée.
Arteries and veins : l’intégrité des vaisseaux sanguins est passée en revue, afin d’exclure une hémorragie active (interne ou externe) ou un hématome et estimer la perte sanguine associée.
Nerves : en cas d’anomalie lors de l’examen neurologique ou orthopédique, une évaluation spécifique des nerfs périphériques (MNP) doit être faite.
Examens complémentaires
L’examen tomodensitométrique cranio-maxillo-facial constitue l’examen complémentaire de choix. Il sera proposé après stabilisation hémodynamique et respiratoire du patient. Il possède une sensibilité diagnostique deux fois supérieure et autorise une meilleure évaluation topographique des lésions osseuses que les techniques radiographiques conventionnelles, notamment des régions articulaires temporo-mandibulaires et naso-palatines. (Bar-Am et al, 2008) Il permet également la mise en évidence de lésions telles qu’un emphysème, un hématome ou certaines lésions entreprenant les tissus mous. L’utilisation d’algorithmes permettant une reconstruction 3D des structures osseuses procure une meilleure visualisation des lésions, (Preda et al, 1998) ainsi qu’une aide incontestable dans la planification thérapeutique, particulièrement lors d’atteintes multifocales. D’autre part, près de la moitié des lésions osseuses passent inaperçues lors d’un examen radiologique conventionnel. (Bar-Am et al, 2008)
La radiographie dentaire à l’aide d’un capteur intra-oral demeure l’examen de référence pour l’évaluation des structures dento-alvéolaires et à ce titre constitue un moyen diagnostique complémentaire à l’examen tomodensitométrique. En effet, selon une étude récente (Lang et al, 2016) l’examen tomodensitométrique ne possède qu’une sensibilité diagnostique de 42 à 57% pour certaines affections dento-alvéolaires chez le chat. La radiographie dentaire constitue en outre un moyen d’épargne en rayons ionisants selon la règle ALARA (As Low As Reasonably Achievable) lors du suivi radiologique des fractures de la partie dentée de la mandibule ou de l’os incisif et maxillaire.
Traitement chirurgical
Après inspection attentive de la cavité buccale, un rinçage stérile et un débridement minutieux des plaies doit être effectué, avant suture de celles-ci. Les fentes palatines acquises (traumatiques) aiguës, sans communication oro-nasale, ne nécessitent le plus souvent pas de fermeture primaire et peuvent cicatriser par seconde intention. Lors de déplacement osseux important ou de présentation chronique, des techniques de reconstruction palatine par lambeaux sont possibles.
Selon la topographie des lésions touchant la région maxillo-faciale, trois options thérapeutiques majeures généralement sont considérées :
1) Les atteintes de la région dentée bénéficient le plus fréquemment d’attelles interdentaires en résine composite, renforcées par un cerclage interdentaire. Elles requièrent la présence d’un ancrage dentaire suffisant de part et d’autre du trait de fracture. Elles sont laissées en place 6 à 10 semaines. Cette technique mini-invasive repose sur la réduction de la fracture à foyer fermé, par restauration d’une occlusion normale. Elle permet à l’animal de retrouver une fonction buccale normale en phase post-opératoire immédiate.
2) Les atteintes caudales (ramus, col et ATM) ou maxillo-palatines requièrent généralement la pose d’une fixation maxillo-mandibulaire qui sera laissée en place 2 à 4 semaines, jusqu’à stabilisation fibreuse des fragments osseux. Plusieurs techniques ont été décrites dans a littérature. Le pontage entre les canines maxillaires et mandibulaires à l’aide d’une résine composite dentaire constitue une option intéressante, car elle permet à l’animal de laper. La pose d’une sonde de nutrition par oesophagostomie s’effectue durant le même temps opératoire et permet d’assister le patient jusqu’à dépose du dispositif. Le patient peut bénéficier de manœuvres de physiothérapie, afin de limiter toute récidive.
3) En l’absence d’ancrage dentaire suffisant, la pose de miniplaques verrouillées peut constituer une option thérapeutique intéressante et correspond à une technique de fixation interne, n’ayant pas recours à une compression des abouts osseux. Elle demeure donc particulièrement indiquée lors de fractures comminutives, mais nécessite la restauration de l’occlusion dentaire en phase pré-opératoire.
4) Certaines techniques adjuvantes (cerclages, haubans, dispositifs orthodontiques) peuvent également être indiquées au cas par cas, notamment lors de lésions entreprenant l’étage moyen de la face ou afin de prévenir une maloccusion.
5) En raison du risque accru d’infection à hauteur des dents présentes dans un trait de fracture ou ayant subi une fracture, notamment le développement d’abcès dentaire avec ostéomyélite lors d’exposition pulpaire ou de fracture radiculaire, une attention toute particulière sera portée aux soins dentaires lors de la présentation initiale et durant le suivi de toute fracture de la mâchoire. Selon la présentation clinique et la stabilité de la réduction, plusieurs options peuvent être considérées, de la plus conservatrice vers la moins conservatrice:
Pronostic et complications
Les polytraumatismes sont de bon pronostic chez le chat, avec plus de 90% de survie rapportée dans les séries historiques en cas de chute. Les lésions neurologiques et notamment spinales constituent un des motifs d’euthanasie les plus fréquents. La taille réduite et notamment la finesse des structures osseuses constituent un défi lors de la stabilisation des fractures du massif maxillo-facial. Des complications telles que l’apparition d’une malocclusion, d’une malunion ou non-union osseuse, d’une ostéomyélite, d’un séquestre osseux ou d’une fistule oro-nasale sont possibles. Les fractures entreprenant la région articulaire comportent le risque de pontage fibreux (ankylose temporo-mandibulaire). Cette dernière peut apparaître durant les semaines ou mois suivant le trauma et limiter voire restreindre totalement l’ouverture buccale. Elle peut progresser vers la formation d’un cal osseux exubérant. Son incidence demeure incertaine, c’est pourquoi toute atteinte (péri)articulaire doit être exclue par la réalisation d’un examen d’imagerie en coupe. La réalisation d’une condylectomie est indiquée lors d’ankylose avérée. Les résultats fonctionnels et esthétiques demeurent néanmoins très bons.