L’anesthésie des animaux domestiques est de plus en plus performante et exigeante. Technologiquement, nous avons pléthore de moyens et d’opportunités et les limites ne sont plus intrinsèques aux moyens dont nous disposons, mais plutôt liées à la physiologie des patients, notamment celle des hypertypes. Ces particularités raciales (tant pour les chiens que pour les chats) sont tout sauf des légendes urbaines. Les difficultés respiratoires de certaines races (brachycéphales), la sensibilité à certaines drogues lors d’une « vraie » insuffisance enzymatique (avec un réveil prolongé), les réponses idiosyncrasiques à un médicament, sont bien réelles ! Elles sont toutefois sans rapport avec d’anciennes croyances : sensibilité/mort à la kétamine des chats de race Bengale, intolérance au propofol ou aux opioïdes des chats en général par exemple.
S’il existe bien des particularités génétiques il ne faut toutefois pas leur attribuer tous les accidents anesthésiques et négliger la recherche d’une autre cause (maîtrise imparfaite de la procédure dans la plupart des cas).
De même, des cardiopathies congénitales d’origine génétique sont fréquentes dans certaines races. Cela doit nous alerter et nécessite un dépistage pré-anesthésique (visite pré-anesthésique).
Races Brachycéphales
Les races dites brachycéphales, ont toutes des modifications anatomiques qui leur confèrent des difficultés (plus au moins marquées) respiratoires et digestives (pour ne « rester » que dans le domaine de l’anesthésie…) d’où la dénomination SORB (syndrome obstructif des voies respiratoires des races brachycéphales).
Ces modifications anatomiques de divers degrés (sténose des narines, allongement et épaississement du voile du palais, éversions des ventricules laryngés, collapsus laryngé, hypoplasie trachéale, obstruction des choanes…) leur apportent des modifications physiologiques qui peuvent devenir critiques avec le stress et l’âge.
Bizarrement, ces chats sont bien mieux une fois anesthésiés que vigiles ! Le secret de ce type d’anesthésie est la neutralisation du stress du patient (autrement dit : les tranquilliser le plus tôt possible !) et la pose rapide d’une sonde trachéale. Plus l’animal est critique, plus rapide devra être la prise en charge (donc, l’anesthésie). Ce n’est qu’une fois intubé que l’animal peut régresser dans l’avancement de son état de détresse « respiratoire ». En effet, ces chats sont inadaptés aux performances respiratoires. Plus ils stressent (à cause de l’hypoxie) et plus ils cherchent à respirer. Mais à cause de leur anatomie à l’envers, leur respiration est d’autant plus inefficace quand elle augmente. La chaleur produite par l’effet d’effort respiratoire est supérieure à celle qui peut être évacuée par la ventilation alvéolaire ; L’animal est vite dépassé par ses propres efforts.
La plupart de ces chats répondent très bien à l’administration faible dose d’acépromazine en association à un opioïde (butorphanol). Si les sécrétions sont excessives, le glycopyrrolate peut aider à les réduire, mais il faut faire attention chez les chats avec des secrétions très « épaisses » qui pourraient boucher les petites voies respiratoires (bronchioles). Les alpha2-agonistes (médétomidine & dexmédétomidine) ne sont pas forcément contre-indiqués. Ils peuvent même sauver l’animal du stress (et donc de la mort), mais doivent être utilisés à faible dose et éventuellement en continu.
La pré-oxygénation au masque est obligatoire (si le chat la tolère) et l’induction doit être rapide (proscrire l’induction au masque, trop laborieuse et polluante). La prise de contrôle des voies aériennes est le point crucial. L’intubation persiste jusqu’à ce que l’animal ne tolère plus la sonde. Avant l’extubation, une application d’éphédrine par voie locale peut aider à désengorger l’œdème des tissus mous. Les corticostéroïdes ne sont ni obligatoires ni contre-indiqués. Tout dépend du degré d’inflammation des tissus.
MDR1 ou ABCB1 chez le chat
Les effets des anesthésiques chez les chiens mutants sont très controversés. Chez ces animaux des médicaments tels que l’acépromazine ou le butorphanol (mais pas seulement) peuvent s’accumuler. Malheureusement le degré de l’atteinte du système de détoxification ne peut pas être connu ou mesuré à l’avance. La seule solution est d’établir une stratégie anesthésique qui prévoie l’utilisation de produits facilement antagonisables et/ou rapidement éliminables (anesthésie volatile).
Chez le chat, la situation n’est pas claire et aucune étude ne montre une présence statistiquement significative de cette mutation. Il est toutefois légitime de s’interroger dans certaines situations « similaires » sur l’existence de mutations du même type.
Races géantes et cardiomyopathie hypertrophique
Autre exemple d’hypertype, les grands chats, Maine coon & friends. Dans ces races, deux types de réflexions s’imposent.
La première est liée au rapport poids – dose. Le mieux serait d’utiliser des échelles allométriques et non pas basées sur le poids, mais ce type d’échelle n’est pas disponible pour toutes les morphologies. Un usage raisonnable consiste à réduire la dose relative. La seconde concerne le système cardiovasculaire qui se retrouve souvent en détresse à cause de la surface corporelle accrue de l’animal. Il est courant de constater dans ces races une dégradation précoce de la fonction cardiaque. Ainsi il faudra vérifier sur ces animaux, avec un examen échocardiographie, la fonction cardiaque. Chez les chats (à la différence des chiens) la cardiomyopathie hypertrophique est plus diffuse (Main Coon). Bien que ce type de pathologie ne soit pas l’exclusivité des races géantes, c’est chez ces animaux qu’elle atteint le maximum de degré et de problématique.
La seconde : le vieillissement précoce…. Un Main Coon de 6 ans, est déjà considéré comme un sénior !
La cardiomyopathie hypertrophique est une maladie que l’on peut observer chez touts les chats (même nos chats de type Européen et très jeunes !). Le cœur ne possède presque plus de place dans ses chambres de chasse ventriculaires et le débit cardiaque est fortement limité.
Parfois les animaux sont totalement asymptomatiques si on ne leur demande pas d’effort… Mais si la fréquence cardiaque augmente (lors d’un stress ou d’une induction à la kétamine), le remplissage ventriculaire étant déficitaire, l’éjection cardiaque diminue : le cœur se désamorce et l’animal peut mourir… C’est pourquoi certaines races très sélectionnées (chez ces animaux l’incidence de cardiomyopathie hypertrophique est forte, même chez les jeunes) sont à fort risque anesthésique. Elles sont qualifiées d’« intolérantes » à la kétamine ou au propofol. Il n’y a là rien de racial, sauf que la pathologie hypertrophique ne permet pas une induction anesthésique à base d’un dissociatif (seul) et d’un vasodilatateur (propofol)… Il faut alors se résoudre à une anesthésie balancée en optimisant le coté analgésique.
Chat persan
En dehors de leurs problèmes de brachycéphalie (de plus en plus fréquents), les persans présentent une forte incidence de la polykystose rénale. Cela peut fortement compromettre leur fonction rénale (dans ces cas l’animal est souvent maigre).
L’anesthésie de ces animaux s’apparente à celle des chats insuffisants rénaux : contrôle de la pression sanguine et exclusion des produits qui pourraient gêner la perfusion rénale (AINS).
Autres légendes urbaines
Devon rex ou bengales meurent lors de l’administration de kétamine
C’est heureusement faux. Ces races présentent par contre une forte prévalence de cardiopathies hypertrophiques. Dans ces cas ils ne supportent pas une accélération du rythme cardiaque, qui empêche le remplissage des chambres de chasse et désamorce le cœur en lui réduisant son débit (ubi supra). Cela est valable pour tous les animaux malades, pas seulement les chats de race.
Les opioïdes sont contre-indiqués chez le Chat
C’est faux. Les opioïdes ont un puissant effet antalgique chez le chat, mais peu d’effet « sédatif » (contrairement au chien). De là l’absence de recours aux opioïdes si le chat n’est pas algique. Les chats qui n’ont pas de douleur au moment de leur admission ne bénéficieraient pas (ou presque pas) des effets « sédatifs » des opioïdes.
Le propofol n’est pas métabolisé par le Chat
C’est faux. Les produits de dégradation du propofol sont lentement métabolisés par le chat, mais suffisamment pour permettre le réveil après à une simple induction. Si des administrations répétées pendant plusieurs jours s’avèrent nécessaires, alors la cumulation des dérivés phénoliques toxiques est possible.
Conclusion
Il existe de nombreuses particularités raciales de l’usage des anesthésiques chez le chat. Un certain nombre de précautions sont à prendre. Pour réduire les risques, une règle de base consiste à utiliser les drogues anesthésiques et la juste dose et jamais en surdosage.